Léna Soler, Maitre de conférences HDR à l’Université de Lorraine, membre des Archives Henri Poincaré - Philosophie et Recherches sur les Sciences et les Technologies (PREST), Nancy, France

Mon domaine de recherche est la philosophie des sciences, plus spécialement de la physique.

La question qui confère leur unité à mes diverses recherches est celle du changement et de la nouveauté dans les sciences. Comment en vient-on à penser, et à juger fiable, voire vrai, ce qui, auparavant, était impensé et apparemment impensable ? Quels types de contraintes s’exercent sur la pensée scientifique créatrice individuelle en mouvement ? Quels types de facteurs sont déterminants dans l’acceptation collective d’une théorie scientifique ? Comment caractériser les liens entre les approches et théories scientifiques très différentes, voire « incommensurables », qui se sont succédées au cours de l’histoire des sciences ? Il s’agit, en un mot, de penser le changement scientifique : de comparer les diverses options scientifiques concurrentes ; de caractériser la nature et l’ampleur des transformations mises en jeu dans l’histoire des sciences (variations conceptuelles, méthodologiques, techniques… ? Ruptures voire incommensurabilités, stabilités au moins sur certains plans ?) ; d’analyser les déterminants des options retenues (empiriques ? pragmatiques ? Psychologiques ? Sociaux… ?) ; et de discuter le statut épistémologique des théories scientifiques acceptées (réalisme versus constructivisme, « inévitabilisme » versus « contingentisme », etc.).

Ces questions ont été explorées en référence à la physique – discipline que je maîtrise de par ma formation, ayant une double formation en physique et en philosophie. La physique quantique a constitué un objet privilégié d’intérêt, en raison de la configuration, inédite et épistémologiquement fort instructive, qui a résulté de la révolution quantique.

Depuis 2018-2019, j’ai impulsé à Nancy un programme de recherche international en philosophie des sciences, d’acronyme MultiScienceS, dont les objectifs sont les suivants : explorer les liens complexes entre contingentisme et inévitabilisme d’un côté, pluralisme et monisme scientifiques de l’autre ; discuter les fonctions et la valeur de l’histoire contrefactuelle et de la science « fiction » en tant que ressource argumentative dans les débats afférents ; aborder dans toute sa généralité la question des déterminants de l’histoire des sciences. Dans ce cadre, un prochain colloque international aura lieu les 20-21-22 octobre 2021 à Nancy, intitulé « Should we choose one unique scientific theory? (New perspectives on the problems of “theory choice” and “paradigm selection”: What if the monist, realist and inevitabilist commitments about science were relaxed?).

En matière de publications, j’ai écrit, à l’adresse des étudiants et autres personnes intéressées par une réflexion « méta » sur les sciences, une Introduction à l’épistémologie (Ellipses, première édition en 2000 ; deuxième édition révisée et augmentée en 2009 ; troisième édition révisée en 2018). Outre divers articles parus dans des revues, j’ai été l’instigatrice et l’éditrice principale de plusieurs volumes collectifs en rapport avec de multiples aspects du changement scientifique :

- Rethinking Scientific Change and Theory Comparison: Stabilities, Ruptures, Incommensurabilities? (2008, Springer, co-édité avec H. Sankey & P. Hoyningen)

- Characterizing the Robustness of Science: After the Practice Turn in Philosophy of Science (2012, Springer, co-édité avec E. Trizio, T. Nickles, & W. Wimsatt)

- Science After the Practice Turn in the Philosophy, History, and Social Studies of Science (2014, Routledge, co-édité avec S. Zwart, M. Lynch, & V. Israel-Jost)

- Un numéro spécial de revue sur le problème de la contingence versus l’inévitabilité des résultats scientifiques (2008, Studies in History and Philosophy of Science, 39, co-édité avec H. Sankey)

- Un numéro spécial de revue “Tacit and Explicit Knowledge: Harry Collins’s Framework” (2013, Philosophia Scientiæ, 17 (3), co-édité avec S. D. Zwart & R. Catinaud)

- Science as it Could Have Been. Discussing the Contingency / Inevitability Problem (2015, Pittsburgh, co-édité avec Emiliano Trizio & Andrew Pickering).


Le 30 septembre, la Dr. Léna SOLER présentera une conférence intitulée :

UNE AUTRE SCIENCE EST-ELLE POSSIBLE ?

Le débat sur la contingence/inévitabilité des résultats scientifiques à la lumière du « régime moniste » de notre science - (Fr)

“Le débat sur la contingence ou l’inévitabilité (C/I) des théories scientifiques et autres résultats tenus pour scientifiquement établis a été initialement conceptualisé par Ian Hacking au tournant des années 2000, puis analysé et discuté par divers philosophes, sociologues et historiens des sciences au cours des vingt dernières années. Schématiquement, les « contingentistes » soutiennent qu’auraient pu être légitimement validés des résultats scientifiques incompatibles avec ceux qui sont considérés établis par notre science, tandis que les « inévitabilistes », eux, le contestent, estimant qu’au moins certains résultats établis par notre science devaient en droit s’imposer, et que par conséquent, des résultats incompatibles n’auraient être en fait tenus pour scientifiquement validés que sous peine d’erreur. Les enjeux du débat C/I sont cruciaux du point de vue de l’interprétation du mouvement passé et futur des sciences, notamment car les contingentistes et les inévitabilistes portent un regard fort différent, non seulement sur l’histoire déjà advenue des sciences, mais aussi sur les manières possibles ou souhaitables d’envisager l’avenir de ces sciences.

Je proposerai tout d’abord une caractérisation d’ensemble du débat C/I. Dans ce cadre, je soutiendrai que des arguments centraux du débat en faveur de l’inévitabilité des résultats scientifiques, bien qu’apparemment convaincants et largement tenus pour décisifs, n’ont à l’examen pas le pouvoir qu’on leur prête. Si ces arguments inévitabilistes paraissent décisifs, c’est faute de prendre acte de certaines caractéristiques fondamentales de notre science que je qualifierai globalement de « monistes ». Quand on prend acte de ce que j’appellerai le « régime moniste » de notre science, autrement dit quand on analyse ce que signifie et implique la manière actuellement moniste de concevoir et de pratiquer la science, les arguments inévitabilistes mis en jeu perdent toute leur force. En outre, il devient clair que le régime moniste qui caractérise notre science pourrait être relaxé et n’est donc pas le seul régime possible. On peut alors, en tant que philosophe des sciences, envisager et évaluer des manières « moins monistes » ou « davantage pluralistes » de concevoir et pratiquer la science… Ce qui revient à imaginer un mouvement futur des sciences dans une perspective très différente de celle qui a présidé à leur mouvement passé.”

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